Signes
Une philosophie à l’écoute de notre temps
Gymnase de Nyon
À l’enseigne de la liberté de pensée, les enseignant·e·s de philosophie proposent un lieu d’échanges – Signes, pour le nommer, – destinés aux élèves actuels et anciens, aux enseignants de toutes branches actifs et retraités, en somme à toutes les personnes désireuses de continuer à s’instruire et de partager un savoir, et plus encore, de se confronter à un trait marquant de notre temps : les transitions dans lesquelles chacun, de toutes parts, est appelé à s’engager pour tracer les linéaments d’un avenir qu’on pourrait accompagner avec confiance (transitions écologique, géo-énergétique, numérique, économique et politique, budgétaire et financière, etc.). Les implications réciproques entre ces transitions rendent la tâche éminemment complexe, et l’issue bien incertaine.
Or, cette incertitude évidente submerge une certitude qu’elle rend presque inapparente. Les transitions à venir ne nous conduiront ni dans un monde idéal hors de la civilisation technologicisée – ni dans la cordialité réconfortante de quelque monde ancien –, elles nous feront entrer plus avant dans le “climat technique”. De ce fait, à plus forte raison, elles rendent les rapports possibles à la technologicisation systématique dignes de question. Il se pourrait bien, en effet, que les questions à l’ordre du jour, – la recherche de l’emploi optimal des ressources rares disponibles, la mise en sécurité de l’intégrité environnementale ou l’évaluation morale de tout l’ordre du techniquement faisable (economic efficiency – sustainability – equity) –, n’épuisent pas, à elles seules, le questionnement à établir, qui les déborde.
Il faut ici risquer une formulation de ce questionnement : est-il possible de produire une civilisation technologicisée capable d’inscrire sa réflexivité dans un horizon d’intelligence et de sens très large, parce que libéré de l’attachement – après délimitation critique – aux conceptions aujourd’hui encore dominantes de la technique ? Les voici : 1°) une conception biologique qui la présente comme un appendice naturel à la vie en général, qui parvient avec l’espèce humaine à un degré de développement inconnu par ailleurs en raison de ses caractéristiques biologiques particulières, en premier lieu par le détachement spontané vis-à-vis des besoins immédiats ; – et 2°) une conception rationaliste qui la présente comme l’application “pratique” d’une connaissance devenue rationnelle : rudimentaire initialement, et de plus en plus perfectionnée à mesure que la connaissance humaine se développe dans le sens d’une science rationnelle.
En présupposant une essence générale de la technique – appendice instrumental d’un corps vivant qui s’y prolonge naturellement ou conséquence quasi logique de la connaissance –, ces deux conceptions dominantes empêchent (entre autres choses !) de se confronter avec la singularité de la technique de notre temps : l’installation à demeure dans la certitude que tout réel est non seulement utile, mais qu’il est carrément disponible à la consommation, laquelle consommation, une fois que l’utilité même y est indexée, se révèle pure consumation. Sommes-nous donc en mesure d’établir une telle critique et de reconnaître par là-même comme encore largement inconnu, et digne de question, ce trait singulier de cette technique technologicisée qui nous concerne ? Ou bien laisserons-nous l’urgence d’apporter des solutions aux problèmes de notre temps recouvrir ce qui a lieu dans les dispositifs techniques, à savoir, pour le dire d’un trait : la réduction de toutes choses, par un ensemble de mesures préalables, à des unités computables – avec et sur lesquelles devoir compter – dans le cadre des calculs à effectuer, après inventaire et mise en ordre, en vue de déterminer l’éventuelle série d’opérations (à charge pour l’ingéniorat d’en appareiller l’automatisation) supposées pouvoir apporter une solution à quelque problème pressant du moment ? Que ce trait – se prêter à la modélisation – soit une des expressions qui passent sur le visage du réel n’étonne plus guère, – qu’elle devienne par contre la seule devrait nous interpeller et nous jeter dans l’embarras comme le vis-à-vis de tout visage soudainement figé.
En d’autres termes, s’il y a des transitions à opérer ingénieusement, il y a aussi des rapports à ces transitions à penser (à établir, à décrire et à délimiter de manière critique), et cela pour essayer d’accéder à une entente plus précise, plus aigüe et plus vraie de l’entreprise technique – comprenons : le système qui relie l’une à l’autre l’industrie, la science et l’humanité – dans laquelle nous vivons, et dans laquelle nous avons aussi, malgré tout, à être, c.-à-d. où il nous revient d’apprendre les risques à prendre pour que puisse nous être ouvert un avenir qui ne soit pas seulement l’étirement, jusqu’à la rupture, du cours actuel des choses. Ici aussi se joue la possibilité de donner lieu à un monde, découvert dans l’émerveillement – et irréductible à un champ d’action ou à un prétexte à réaction.
Avec le soutien du gymnase de Nyon, Signes organise deux à trois conférences, séminaires ou causeries philosophiques par année scolaire. Les manifestations, animées par des intervant·e·s externes de qualité, commenceront en général peu avant la fin des cours et se prolongeront après l’horaire ordinaire.
La proposition est de se réunir pour écouter ces personnes qui, provenant de divers horizons, mais toutes également soucieuses des rapports à cette transition, se sont découvertes engagées dans le métier de penser. Métier dérive de ministerium (ministère, par opposition au magisterium, magistère). Il n’est pas humainement possible de s’y prendre autrement : penser est un métier au sens où l’on n’a jamais fini d’apprendre ce qui est requis pour le faire comme il faut, un métier dont on ne devient jamais le maître. C’est le sens du mot dans le titre d’un livre de Cesare Pavese : Il mestiere di vivere. Dans la situation présente, écouter les intervant·e·s reprendre à neuf leurs interrogations et leurs réflexions, et les rencontrer en leur adressant les questions les plus simples, sans buts extérieurs et animés de la seule passion de comprendre, telle est l’invitation.
À cette fin, on ménagera toute la place nécessaire à la diversité des approches et on demeurera à l’écart du cloisonnement des thèmes.
Nyon, le 29 avril 2023
Felicetti Ricci
(Felicetti.Ricci@eduvaud.ch), responsable du projet
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Signes
Conférences proposées par la file de philosophie du gymnase de Nyon (III)
Prof. Dr méd. François Ansermet
LES PARADOXES DU DEVENIR :
ENTRE INCERTITUDES ET PRÉDICTIONS
(ENJEUX INTIMES ET COLLECTIFS)
Gymnase de Nyon, Auditoire N001 du bâtiment Atrium
Mardi 23 janvier 2024 à 17h30
Contre toute attente, les êtres humains semblent déterminés génétiquement, neuronalement ou encore traumatiquement pour ne pas l’être ! Au-delà des déterminations de tout ordre, quel espace pour le désir et le choix dans le devenir individuel et sociétal ? Engagé dès longtemps dans ce questionnement, François Ansermet propose de nous en montrer la vastitude.
François Ansermet, médecin psychiatre et psychanalyste, professeur honoraire de pédopsychiatrie aux Universités de Genève et de Lausanne, ancien médecin chef des Services universitaires de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHUV et aux HUG, initiateur de la Maison de l’enfant, des adolescent·e·s et des jeunes adultes à Genève (MEA ouverture en juin 2023). Membre du Comité Consultatif National d’Éthique à Paris (2013-2021). Auteur, entre autres, de L’origine, qu’est-ce que ça change ? (à paraître chez Labor & Fides, 2024), L’Origine à venir (Odile Jacob, 2023), Prédire l’enfant (PUF, 2019), Serendipity avec Prune Nourry (Actes Sud, 2017), La fabrication des enfants – Un vertige technologique (Odile Jacob, 2015), Clinique de l’origine (Cécile Defaut, 2012), Les Énigmes du plaisir avec Pierre Magistretti (Odile Jacob, 2010) et À chacun son cerveau. Plasticité neuronale et inconscient avec Pierre Magistretti (Odile Jacob, 2004, réédité en poche en 2011).
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Signes
Conférences proposées par la file de philosophie du gymnase de Nyon (II)
Prof. Christian Arnsperger
S’AUTOLIMITER POUR MIEUX VIVRE ENSEMBLE SUR LA TERRE?
LES DÉFIS ET LES CHANCES D’UNE TRANSFORMATION SOCIO-ÉCOLOGIQUE
Gymnase de Nyon, Auditoire N001 du bâtiment Atrium
Lundi 11 décembre 2023 à 17h30
Il est urgent pour nous, collectivement, de trouver et de mettre en œuvre des façons nouvelles (peut-être inspirées de façons anciennes) de bien vivre, de vivre de façon juste et équitable, à l’intérieur des limites physiques de notre Terre. La Suisse aime beaucoup se donner l’image d’une “bonne élève” en matière environnementale, mais à l’instar des autres pays riches, elle participe largement aux dégradations de la biosphère en cours. Quels obstacles, politiques mais aussi psychologiques et existentiels, devons-nous surmonter pour pouvoir enfin sortir de notre “innocente destructivité” de surconsommateurs repus ? Pour réussir à nous autolimiter tout en gagnant en joie de vivre? Ce n’est pas une question technique, c’est une question philosophique: il s’agit de reconnaître enfin à quel point travailler, gagner de l’argent, dépenser, consommer, tout expérimenter sont des remèdes inefficaces contre un vide intérieur que notre civilisation qui s’autoproclame “moderne” a renoncé à voir en face et à affronter.
Christian Arnsperger, économiste, professeur en durabilité et anthropologie économique à la Faculté des géosciences et de l’environnement (Université de Lausanne). Il interroge les dimensions anthropologiques de la croissance économique et les conditions de possibilité d’une transition écologique. Il a notamment publié Critique de l’existence capitaliste. Pour une éthique existentielle de l’économie (Cerf, 2005), Éthique de l’existence post-capitaliste. Pour un militantisme existentiel (Cerf, 2009), Écologie intégrale. Pour une société permacirculaire avec Dominique Bourg (PUF, 2017) et L’existence écologique. Critique existentielle de la croissance et anthropologie de l’après-croissance (Seuil, 2023).
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Signes
Conférences proposées par la file de philosophie du gymnase de Nyon (conférence inaugurale – I)
Conférences proposées par la file de philosophie du gymnase de Nyon (conférence inaugurale – I)
Prof. Massimo Amato
QU'EST-CE QUE LA MONNAIE?
Gymnase de Nyon, Auditoire N001 du bâtiment Atrium
Vendredi 26 mai 2023 à 16h00
« Fasciné·e·s ou inquiété·e·s par l’argent, nous ignorons presque tout de la monnaie. Nous nous contentons d’y voir une marchandise de peu de valeur (élevée, conventionnellement, à la triple fonction de numéraire, de moyen de paiement et de réserve de valeur), alors que, paradoxalement, il saute aux yeux qu’on ne saurait la réduire à une telle convention. Et si la monnaie n’était pas une marchandise, mais avant tout une institution ? Si, œuvre de l’être humain, elle l’obligeait à se rapporter à quelque chose d’inquiétant, de tout autre que lui, qui se soustrait à toute volonté de contrôle? Et si ce trait énigmatique de la monnaie, en raison même de son oubli, était la cause profonde des crises économiques et financières qui, à intervalles toujours plus réduits, bouleversent nos sociétés ? »
C’est par un voyage insolite dans l’histoire de la monnaie, et de la pensée monétaire, que Massimo Amato tente de rendre perceptible, avant encore que des solutions, l’énigme même de la monnaie. Dans sa conférence, il abordera les questions brûlantes de notre actualité, notamment les questions inhérentes aux transitions à opérer aujourd’hui (transition écologique, géo-énergétique, budgétaire et financière), en montrant que, et comment, elles sont liées.
Massimo Amato enseigne l’histoire économique, l’histoire de la pensée économique et des systèmes monétaires et financiers à l’Université Bocconi (Milan). Depuis plus de 20 ans, il travaille à la construction des conditions théoriques et politiques pour une réforme de la monnaie. Il s’est engagé, en France, en Italie, en Europe et en Afrique, dans des projets concrets de réforme monétaire et financière. Il est l’auteur d’articles parus dans diverses revues internationales et de livres marquants appréciés par un large public : Il bivio della moneta (1999), Le radici di una fede. Per una storia del rapporto fra moneta e credito in Occidente (2008), Fine della finanza (2009), Come salvare il mercato dal capitalismo (2012). Depuis trois ans, il travaille au projet d’une Agence Européenne de la Dette.